Monday, February 3, 2025

Commentaire de Marché & Perspectives pour 2025

2024 : Ces arbres qui cachent la forêt

Si beaucoup pensaient que 2023 était une année chaotique, 2024 nous a rappelé que tout était possible... sauf la stabilité.

En 2024, l’économie mondiale s’est lancée dans une grande valse d’hésitations, entre baisses de taux et hausse des dettes. Alors que les banques centrales nous ont gratifiés de baisses de taux afin de stimuler l’économie globale, la dette mondiale a atteint des nouveaux records en dépassant le seuil des 322,9 trillions de dollars. Un tel niveau d'endettement risque de limiter la capacité des gouvernements à réagir aux crises économiques futures, notamment en cas de récession ou de ralentissement global. De plus, un endettement aussi élevé pourrait exacerber les inégalités économiques, provoquant ainsi une instabilité financière mondiale, les économies interconnectées étant plus exposées aux chocs liés aux défauts de paiement.

En termes de croissance, les Etats-Unis ont continué de surprendre, avec 2,8 % de croissance apparente du PIB. L’indice phare américain, le S&P500, clôture proche de ses plus hauts historiques, et ce grâce aux 7 Magnifiques (Tesla, Amazon, Apple, Alphabet, Microsoft, Meta et Nvidia). Pendant ce temps, les autres secteurs font de la figuration, et peinent à garder le rythme imposé par les géants de la tech.

En contre-pied de la performance américaine, l’Europe semble morose et ne cesse de décevoir. Seuls les pays du sud de l’Europe se maintiennent, notamment grâce au tourisme. Pour la France, il semble désormais difficile d’imaginer sa dette être à nouveau notée AAA, alors même que le simple A est à risque. L’indice clé du pays, le CAC40, clôture l’année en négatif, alors qu’il affichait une hausse de 10% en mai, avant la dissolution du parlement. Face à la politique d’austérité adoptée par son gouvernement, l’année 2025 s’annonce donc difficile.

En Chine, le dragon bâille alors que l’économie montre des signes de ralentissement, obligeant le gouvernement à initier un plan bazooka afin d’attirer les investisseurs locaux et étrangers. A travers ces mesures économiques massives et agressives, le gouvernement souhaite stimuler la croissance, et restaurer la confiance dans l’économie chinoise.

Enfin, concernant les matières premières, l’or, l’argent et le cacao ont passé l’année 2024 à la hausse. Ces performances reflètent à la fois les incertitudes économiques mondiales, marquées par l’inflation persistante, les tensions géopolitiques et la volatilité des marchés, ainsi qu’une demande croissante pour ces actifs. L’or et l’argent, souvent perçus comme des valeurs refuges en période de crise, ont bénéficié de la méfiance des investisseurs envers les devises et les marchés traditionnels, tandis que le cacao, porté par des contraintes d’approvisionnement et une consommation mondiale en hausse, a confirmé son statut de produit stratégique dans le secteur agroalimentaire.

Evolution des cours des matières premières sur 12mois (-) comparée à l’inflation américaine sur 12mois (-) et aux taux d’intérêts US à court terme (-).

Source: Bloomberg

 

Les matières premières et surtout les métaux primaires (aluminium, zinc, fer et cuivre) jouent un rôle majeur dans les réseaux de production. Les chocs d'approvisionnement peuvent avoir des effets importants et persistants sur l'inflation sous-jacente et globale. En revanche, les chocs d'approvisionnement en pétrole affectent principalement l'inflation sur des périodes relativement courte.

Cela rend-il le travail des banques centrales plus facile ou plus difficile ?

Les banques centrales ont généralement « ignoré » les chocs pétroliers, à condition que ces chocs ne soient pas excessivement importants. Cependant, à mesure que le système énergétique s'éloigne des combustibles fossiles, une telle approche pourrait ne plus fonctionner lorsque les économies sont confrontées à des fluctuations importantes des prix des matières premières et principalement des métaux primaires. Les autorités monétaires devront peut-être réagir aux chocs d'approvisionnement des matières premières, car ces chocs ont un effet plus persistant sur l'inflation que les chocs pétroliers.

En conclusion, les banques centrales doivent se préparer à une économie mondiale potentiellement plus dépendante aux matières premières, dans laquelle les chocs de prix pourraient devenir de plus en plus importants. Leur impact sur l'inflation peut sembler subtil au premier abord, mais pourrait s'avérer assez persistant comme le graphique ci-dessous le démontre.

Evolution de la performance des principales classes d’actifs en 2024

(-) Actions Mondial, (-) Obligations Mondial, (-) Or, « Magnificent 7 » (-), Bon du Trésor US 30 ans (-), Dollars (-), Pétrole (-).

Source: Bloomberg

 

Comme indiqué dans le graphique ci-dessus la vigueur persistante des États-Unis a permis aux actions des marchés développés (MSCI World) d'afficher une performance annuelle de 19 %.

Elle s’explique par une appréciation hors-normes de plus de 60 % des « Magnificent 7 », ces méga-capitalisations technologiques américaines qui ont su bénéficier de la traction de l’IA et ont permis aux diverses actions mondiales de croissance de dominer les indices boursiers pour la deuxième année consécutive.

L'or, quant à lui, a terminé l'année avec un rendement de 27 %, porté par les inquiétudes concernant l'orientation budgétaire des banques centrales des pays développés, qui ont toutes commencé à normaliser leur politique monétaire en 2024.

La résilience de la croissance américaine et le niveau de son inflation ont obligé les marchés à réduire leurs attentes quant à la rapidité des baisses de taux, ayant eu pour finalité une performance globale de  -1 % des obligations mondiales de qualité« investment grade », un résultat bien en deçà des prévisions des principales banques d’affaires.

En 2024, les performances économiques américaines se sont découplées de celles des autres grandes régions. Malgré les inquiétudes suscitées par l'été, l'exceptionnalisme économique américain est resté largement intact. La croissance du PIB s'est établie en moyenne à 2,6 % en glissement trimestriel annualisé au cours des trois premiers trimestres de 2024, et la prévision immédiate du PIB de la Réserve fédérale d'Atlanta prévoit une fin d'année tout aussi forte.

L’année 2024 a été marquée par de nombreux défis pour les investisseurs, entre les turbulences politiques et géopolitiques en Occident, l’entrée en récession de certains pays accompagnée d’un endettement croissant, une compétition monétaire accrue entre la Chine et les États-Unis, ainsi que le rôle de plus en plus affirmé des BRICS sur la scène internationale.

L'Europe et la Chine étaient déjà en difficulté avant les élections, et comme Trump est susceptible de donner la priorité à la politique de « l'Amérique d'abord », les deux régions devront réagir. En Europe, la faiblesse de la demande mondiale de biens n'est peut-être qu'un vestige de la pandémie. La faiblesse persistante de la demande chinoise fait partie de l’équation, puisque la reprise postpandémique de la Chine a été encore plus décevante que celle de l'Europe. Avec un moteur domestique qui cale, les entreprises se sont concentrées sur les exportations, mais cette concurrence intense a mis à l'épreuve les fabricants européens.

À première vue, le résultat des élections américaines risque d’aggraver les problèmes de l'Europe et de la Chine, mais nous nous attendons à ce que la Chine et l'Europe répondent à cette hostilité en soutenant davantage leurs propres économies. Jusqu'à présent, les mesures de relance de la Chine se sont concentrées sur l'accès au crédit plus facile et moins cher, mais lorsque le problème sous-jacent est un endettement excessif, rendre le crédit plus attrayant offre rarement une solution durable.

Nous prévoyons que l'hostilité étrangère conduira Pékin à s'attaquer plus directement au problème de l'immobilier et de la dette des gouvernements locaux et à fournir des mesures de relance budgétaire plus directes aux ménages et aux entreprises.

La capacité de l'Europe à réagir rapidement peut être entravée par ses propres problèmes politiques. Il est tentant d'être pessimiste et de supposer que les politiciens européens n'auront pas l'urgence ou la capacité d'apporter une solution à ces problèmes. Cependant, c'est souvent en période de crise mondiale que les décideurs politiques de la zone euro sont motivés à intervenir.

 

Les perspectives pour 2025

Le premier trimestre risque d'être très difficile pour la zone de l’union européenne avec un agenda politique extrêmement chargé et des incertitudes qui risquent de décaler des décisions d’investissements privées et publiques pourtant indispensables à une relance espérée par les populations.

L’arrivée de Trump aux commandes du bulldozer américain pourrait représenter un atout pour la politique intérieure américaine, mais elle suscite des inquiétudes pour l'Union européenne, qui semble moins prioritaire dans son agenda. Bien qu'il puisse jouer un rôle clé dans la résolution du conflit en Ukraine, ce qui serait une avancée positive, il ne faut pas sous-estimer les défis politiques auxquels l’Europe doit faire face.

Economiquement il ne faut pas non plus penser que la nouvelle administration américaine va faire repartir son économie d’un coup de baguette magique ; nous voyons cela plus comme une pause dans le délitement, que comme un retour à la puissance hégémonique d’antan. Autrement dit, si certains signaux peuvent laisser croire à un regain de dynamisme ou de stabilité, ils ne traduisent pas nécessairement une inversion durable des tendances de déclin structurel observées.

Les élections en Allemagne, combinées à l'instabilité politique observée dans plusieurs États membres de l'Union européenne, soulèvent de sérieuses interrogations sur l'avenir du projet européen. En France, la position de la nouvelle équipe gouvernementale est comparable à un siège éjectable, où les pressions internes et externes pourraient rapidement éroder sa légitimité. Pendant ce temps, des pays comme la Géorgie, la Roumanie et la Hongrie contribuent à alimenter les tensions. Ces nations, parfois en opposition ouverte avec les principes démocratiques ou les orientations stratégiques de l'UE, fragilisent davantage la cohésion de l'Union.

Sur le plan économique, cette instabilité politique sape la confiance dans l'euro en tant que monnaie commune. L'incapacité à résoudre les divergences économiques et les tensions nationales met à rude épreuve la résilience de la zone euro, menaçant son rôle sur les marchés mondiaux et sa capacité à se maintenir comme un symbole d'unité. La multiplication des crises politiques au sein des États membres pourrait ainsi porter un coup fatal à l'idée même d'une Union européenne forte et solidaire, renforçant les mouvements populistes et eurosceptiques qui plaident pour un retour à des souverainetés nationales. Sans un leadership clair et des réformes structurelles majeures, l'Europe risque devoir ses ambitions collectives réduites à une série de compromis, incapables de répondre aux défis globaux auxquels elle est confrontée.

 

Nos anticipations pour les devises :

  • Durant le premier trimestre, l’Euro devrait poursuivre sa baisse et passer franchement sous la parité face au dollar.
  • Le franc suisse continuera sa glissade face au dollar, malgré les interventions de la BNS qui essaie désespérément de freiner la hausse de la devise suisse. Il devrait néanmoins rester fort, face à l’Euro.
  • Le Yen va continuer de baisser face au dollar avec un objectif à court terme de 170 Yen/$, contre 157 aujourd’hui.
  • Le dollar US, même s’il est annoncé à l’agonie, n’est pas encore mort ; il est la preuve vivante qu’il y a un monde entre la théorie et la pratique. La disparition voulue par les Américains de l’Euro comme monnaie alternative, tout comme la proposition récente de Trump aux canadiens d'être un état des Etats-Unis, viendront renforcer le dollar dans le système bipolaire qui s’installe avec le Yuan, d’un côté, et le dollar, de l’autre.

 Nos anticipations pour le marché des taux :

  • Les banques centrales vont être obligées de faire tourner la planche à billets et de reprendre leur « quantitative easing », car le niveau d’endettement aujourd’hui combiné avec une croissance potentielle très faible est totalement incompatible avec des taux très élevés. Nous sommes donc susceptibles d’augmenter notre exposition actuelle sur les obligations américaines à long terme, dans le courant de l’année, en misant sur une baisse des taux.
  • N’ayant trouvé de meilleure alternative, nous allons continuer à surpondérer nos portefeuilles de stratégies de CLO (adossés à des prêts sécurisés), en particulier en CHF et en USD, sur des versions distributives. A notation égale à une obligation, la tranche de CLO offre un rendement 50 % supérieur à une obligation, une meilleure résilience en cas de défaut et surtout un portage (rendement du coupon) plus généreux.

 Nos anticipations pour les marchés actions :

  • Les marchés « actions » pourraient profiter d’une « euphorie pro-Trump » en début d’année 2025, mais on peut se poser la question pour la suite, surtout lors des annonces de résultats du premier trimestre. Au vu du positionnement déjà élevé de la majorité des investisseurs actions, il faut s’attendre à une année 2025 volatile et très divergente, selon les régions et/ou les secteurs.
  • Alors que l’Allemagne est officiellement en récession, que les principales sociétés industrielles ont annoncé des résultats épouvantables et qu’il va y avoir des élections, le DAX est à son plus haut historique. Il ne serait donc pas étonnant de le voir plus bas, d’ici la fin 2025. Une récession « normale » coute généralement 30 à 40 % sur un marché, et il nous semble que les opérateurs sont un peu trop confiants dans le fait que les banquiers centraux viendront tout de suite à leur secours, à la moindre faiblesse sur les actions.

 Nos anticipations pour le marché des matières premières :

  • Malgré leur bonne performance en 2024, les métaux précieux continuent d’être un actif indispensable dans une allocation d’actifs, car ils constituent une véritable assurance du patrimoine. C’est la monnaie ultime pour vous protéger de la perte de valeurs des monnaies« Fiat », les monnaies qui ne sont pas garanties par un métal précieux.
  • Dans un environnement récessif, les matières premières industrielles et l'énergie baissent, mais les multiples conflits permettent de les garder sur des niveaux élevés. Si les tensions géopolitiques se calment il est probable que les cours reculent assez rapidement.

 Nos anticipations pour le marché de la dette privée :

  • Avec des banques universelles toujours aussi réticentes à financer l’économie réelle, la demande de crédits auprès de tiers financeurs (fonds spécialisés et/ou investisseurs privés) va donc prendre de l’ampleur, même si l’environnement économique nous contraindra à être encore plus sélectifs sur les secteurs d’activités ou sur les garanties apportées, surtout en Europe.

 Nos anticipations pour les clubs-deals immobiliers :

  • Nous allons être vigilants sur des actifs immobiliers mix « résidentiels/commerciaux) dans les zones urbaines de premier ordre (surtout aux US) détenus par des plus petits propriétaires ou développeurs immobiliers mis sous pression par leurs banques. Il s’agira d’opérations de vendeurs « stressés » et pressés de devoir vendre. Nous avons différentes discussions avec des sociétés actives dans ce domaine et susceptibles de nous donner accès à du co-investissement.

 Nos anticipations pour le marché du secondaire de private equity :

  • Même si les activités de fusions-acquisitions et de cotations en bourse ont été de 20 à 30 % supérieures à celles de l’année 2023, elles ont été insuffisantes pour permettre aux investisseurs du private equity (capital-risque dans des sociétés non cotées) de bénéficier d’évènements de liquidité.
  • Il y a donc certainement encore 6 mois d’opportunités intéressantes dans cette stratégie de niche consistant à racheter (avec une forte décote) des parts de fonds de private equity à des investisseurs privés ou semi-institutionnels forcés de vendre.
  • Il faut parfois savoir être patient dans ce genre de stratégies, car il faut trouver le juste prix d’équilibre qui nous permettra de viser des rendements de 12 à 15 %.

Quelle que soit la stratégie d’investissement adoptée, qu’elle privilégie les placements traditionnels ou alternatifs, nous sommes persuadés qu’il est essentiel de rester ouvert à toutes les options. Ne s’obliger ni ne s’interdire aucun type d’investissement permet à la fois de protéger le capital et de le faire croître. En effet, dans un monde de plus en plus complexe, s’en tenir uniquement à une gestion traditionnelle expose les portefeuilles à des niveaux de volatilité et de corrélation souvent trop importants. Il est donc inutile de s’appliquer à mettre ses œufs dans différents paniers, si finalement ils proviennent de la même poule.  En2024, la diversification des portefeuilles n’a pas seulement permis de générer une performance plus que satisfaisante, mais aussi et surtout une régularité importante.  

Nous vous (et nous) souhaitons une année 2025 toute aussi satisfaisante.